Depuis 2013, une nouvelle forme d’application de la technologie blockchain est apparue en appui sur les crypto-monnaies : les Initial Coin Offerings, ou ICOs. Ce phénomène, permettant aux sociétés de lever des fonds en émettant des jetons, a d’ailleurs pris une ampleur telle au cours de la dernière année que différents régulateurs se sont penchés sur l’intérêt de régulariser cette pratique, tant en Europe qu’aux États-Unis. Le 26 octobre 2017, en soulignant avant tout les risques associés à cette pratique, l’AMF a lancé une consultation publique sur les ICOs et un programme d’analyse et d’accompagnement de ces pratiques, baptisé UNICORN. Les résultats de cette consultation ont été publiés le 22 février 2018 et ont exprimé un souhait des praticiens d’encadrer sérieusement cette nouvelle pratique : quels sont les enjeux des ICOs qui expliquent ce souhait ?

Les ICOs sont une forme de levée de fonds : une société va émettre des tokens (jetons) sur une blockchain, qui permettront aux acquéreurs d’obtenir, en échange de ceux-ci, soit des prestations ou des biens proposés par la société (utility tokens, ou jetons utilitaires), soit des droits politiques ou financiers (security tokens, bien moins courants en pratique). Ainsi les tokens ne sont pas des parts de société (ce qui différencie les ICOs des Initial Public Offerings), mais plutôt un prépaiement de biens ou services appelés à être développés : on se rapproche davantage du système de crowdfunding. Ce système de levée de fonds est avant tout préconisé par les start-ups, puisque les ICOs n’entrainent pas de cession de titres, et permettent à celles-ci de se financer à un stade précoce de leur développement grâce à des investisseurs, sans nécessairement avoir recours à des banques d’affaires.

Purs produits de la pratique, les ICOs ne sont soumis à aucune règlementation – mis à part quelques guides de bonnes pratiques qui ne stipulent aucune obligation légale. Ce vide juridique a vocation à être comblé, mais la nature des tokens n’est pas aisément définissable. Ce ne sont pas des crypto-monnaies (monnaies virtuelles tel que le bitcoin), puisqu’ils sont chacun spécifiques à des opérations uniques. La difficulté de la qualification juridique des tokens naît de cette diversité de la nature de droits conférés par chaque token (on pourrait assimiler les security tokens à des titres financiers par exemple, mais pas les utility tokens).

Bien qu’elle ne soit pas évidente sur le plan juridique, différents éléments poussent à la régulation des ICOs. D’abord, les tokens échangés sont l’objet d’une forte spéculation : dès lors que le projet qu’ils servent à financer se porte bien, les tokens prennent de la valeur, permettant à leurs acquéreurs initiaux de les revendre avec une plus-value importante à des nouveaux acquéreurs désireux de pouvoir bénéficier des services, biens ou droits associés aux tokens. De plus, les ICOs sont pour le moment enveloppés d’un voile opaque, qui les rendent difficilement accessibles aux non-technophiles avertis : il faut savoir que chaque opération émet des tokensaccordant des droits de natures très différentes (définis dans un white book pour chaque opération d’ICO de chaque société), et que la société émettrice a aujourd’hui très peu d’obligations d’information des acquéreurs sur sa gouvernance, ses projets, etc., ce qui entraîne des risques d’escroquerie ou de blanchiment d’argent.

L’ensemble de ces risques, posés autant pour les acquéreurs que les vendeurs, sont reflétés dans les 82 réponses des « acteurs de l’économie numérique, des particuliers, des professionnels de la finance, des infrastructures de marché, des universitaires et des cabinets d’avocats » ayant répondu à la consultation de l’AMF. Des trois options proposées pour encadrer les ICOs, c’est l’établissement d’une législation nouvelle adaptée aux ICOs qui a retenu la grande majorité des voix, au détriment de la promotion d’un guide de bonnes pratiques à droit constant ou de l’étendue du champ des textes existants pour appréhender les ICOs comme des offres de titres au public. L’AMF s’est donc engagée à poursuivre son travail de définition d’un cadre juridique approprié, spécifique aux ICOs, avec notamment des obligations d’établissement de documents d’information à destination des acquéreurs de tokens (sur le projet, les droits conférés par les tokens et l’identification de la personne morale émettant l’offre), une obligation d’approbation de l’opération par un visa accordé par une entité régulatrice, ou encore une possibilité de séquestrer les fonds levés.

Un cadre juridique, accompagné d’une règlementation, aura certainement toute sa place au sein du développement des ICOs. En facilitant l’émergence de nouveaux systèmes numériques grâce à des levées de fonds rapides et flexibles, les ICOs ont vocation à prendre une place de plus en plus importante au sein de l’économie numérique. À suivre !