Initialement encadré par l’ordonnance n°2014-559 du 30 mai 2014, le régime applicable au financement participatif relevait d’une initiative nationale. Son fonctionnement reposait alors sur deux statuts, desquels dépendait le type de financement pouvant être proposé par la plateforme. Pour mémoire, on distinguait le statut de Conseillers en Investissements Participatifs (CIP) lesquels proposaient des financements sous la forme de souscription de titres financiers ou minibons[1], et celui d’Intermédiaires en Financement Participatif (IFP), lesquels proposaient des financements sous la forme de prêts (rémunérés ou non) ou de dons.

Cette réglementation à vocation à disparaitre, au moins en partie, au bénéfice d’une réglementation européenne composée d’une directive (Directive (UE) 2020/1504) d’ores et déjà transposée[2] et d’un règlement (Règlement (UE) 2020/1503) (le « Règlement »).

L’ordonnance n° 2021-1735 du 22 décembre 2021 (l’ « Ordonnance ») et le décret n° 2022‑110 du 1er février 2022 (le « Décret ») modernisant le cadre du financement participatif parachèvent en droit interne cette transition vers le nouveau cadre européen.

Dans un précédent article sur le sujet[3], nous évoquions les futures conséquences de cette nouvelle réglementation et notamment les zones d’ombres planant sur l’encadrement des activités exclues du champ d’application du Règlement, à savoir le financement participatif par le recours aux dons et aux prêts à titre gratuit ainsi que le financement des projets soutenant des activités non commerciales (les projets dits « sans profit »)[4], lesquels n’entrent pas dans le champ d’application du Règlement.

L’Ordonnance et le Décret apportent des clarifications, d’une part, en effectuant les aménagements nécessaires pour permettre l’application du régime européen, notamment, afin de préciser le mécanisme d’agrément pour l’obtention du nouveau statut de Prestataire de Services de Financement Participatif (PSFP) créé par le Règlement et, d’autre part, en adaptant le cadre national du financement participatif relatif aux activités demeurant hors du champ d’application du Règlement.

L’agrément des prestataires de services de financement participatif

Le Règlement consacre la liberté d’exercice des PSFP sur le marché unique par l’instauration d’un mécanisme d’agrément et de reconnaissance mutuelle – dit de « passeport européen ».

Conformément aux articles 12 et suivants du Règlement, la délivrance de l’agrément ainsi que les missions de contrôle et de surveillance incombent aux autorités nationales. Dans la continuité du contrôle des CIP assuré par l’Autorité des marchés financiers (AMF), l’Ordonnance charge cette dernière de l’ensemble de ces missions.

L’agrément demandé par le PSFP à l’AMF doit alors préciser son programme d’activité. Il s’agira, notamment, de déterminer quel(s) type(s) de service(s) le prestataire souhaite fournir, à savoir la facilitation de l’octroi de prêts onéreux (prêt avec intérêt ou prêt sans intérêt mais avec d’autres avantages financiers), le placement sans engagement ferme de valeurs mobilières, ou bien les deux. Le Décret prévoit que l’AMF dispose d’un délai de trois mois à compter de la réception du dossier complet de demande d’agrément pour notifier sa décision au demandeur, étant précisé que l’AMF est tenue d’évaluer la complétude du dossier dans un délai de vingt‑cinq jours ouvrables après réception de la demande. Le silence gardé à l’issue de ce délai de 3 mois par l’AMF vaut rejet de la demande.

Il faut néanmoins noter que, lorsque le programme d’activité couvre le service de facilitation de l’octroi de crédits, l’AMF doit, préalablement à la délivrance de l’agrément, solliciter l’avis conforme de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) qui dispose alors d’un délai de 2 mois pour répondre. Cette exigence fait écho au contrôle antérieur de l’ACPR sur les IFP. De la même manière, l’AMF sollicite l’ACPR pour qu’elle intervienne dans le contrôle et la surveillance des PSFP fournissant le service de facilitation de l’octroi de prêts.

A l’instar de leur prédécesseur, les PSFP – tant ceux agréés en France que ceux bénéficiant du passeport européen – sont autorisés à se livrer à des actes de démarchage bancaire ou financier sur le territoire français. En revanche, les PSFP sont uniquement soumis aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme au titre de leurs activités qui ne sont pas couvertes par le Règlement.

L’Ordonnance confirme également que les offres au public de titres financiers proposées par les PSFP ne sont pas soumises au Règlement Prospectus[5].

En même temps que l’Ordonnance supprime le statut de CIP et par ricochet, le régime des minibons, elle conserve et adapte celui des IFP. La nouvelle procédure d’agrément ne leur étant pas applicable, ceux-ci restent néanmoins toujours soumis à la procédure préalable d’inscription au registre unique des intermédiaires, mais voient en revanche leurs attributions modifiées.

La réglementation nationale des activités non couvertes au niveau européen

L’Ordonnance précise que les activités exclues du champ d’application du Règlement demeurent encadrées par le droit national. L’Ordonnance adapte ainsi le statut d’IFP en limitant leur activité d’intermédiation de financement aux seuls dons et crédits à titre gratuit lorsqu’il s’agit de financer des projets soutenant une activité commerciale. En effet, si les IFP pouvaient auparavant faciliter l’octroi de prêts à titre onéreux, cette activité, désormais régie par le droit européen, relève de la compétence des PSFP lorsqu’elle a vocation à permettre le financement de projets présentant un profit.

En revanche, lorsqu’il s’agit de mettre en relation des contributeurs ou investisseurs et porteurs de projets « sans-profit » en vue de l’obtention de crédits ou de dons, les IFP conservent sur le territoire français le monopole pour conduire cette activité, quel que soit le mode de financement, y compris à titre onéreux.

In fine, tant le financement des projets sans profit, que le financement participatif sous forme de dons et de prêts à titre gratuit, demeurent régis par le droit interne. Lorsqu’il se fait par le biais de crédits à titre onéreux, il convient de distinguer selon que le projet financé est commercial ou non afin de déterminer s’il relève de la compétence des PSFP ou des IFP.

À noter cependant, que le cumul des statuts d’IFP et PSFP est possible, mais uniquement pour les PSFP établis en France puisque l’une des conditions d’immatriculation d’un IFP à l’ORIAS est l’établissement d’une société commerciale sur le territoire français.

Par ailleurs, l’Ordonnance élargit les activités pouvant être exercées par les IFP en ajoutant à la définition de « projet » prévue à l’article L.548-1 du Code monétaire et financier les termes « un évènement ou le soutien d’une cause pour lequel un porteur de projet cherche un financement total ou partiel » ce qui permet de couvrir davantage de services, dont l’organisation de cagnottes en ligne. L’objectif de cette extension étant, notamment, de soumettre l’activité de cagnottes en ligne à la réglementation relative à lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme qui est d’ores et déjà applicable aux IFP. Pour autant, l’Ordonnance précise que les IFP seront exemptés de toutes obligations en la matière en ce qui concerne les projets portés par une même personne pour lesquels le total des montants cibles de financement ou le total des montants collectés n’excèdent pas 150 euros par période de six mois.

Enfin, l’Ordonnance adapte la réglementation antérieure afin de permettre à certains projets « sans profit » de bénéficier de financements sous la forme de titres financiers. Les PSFP sont, en effet, autorisés à exercer une partie de leur activité dans le cadre national puisque les nouveaux articles L.547-4 et seq. du Code monétaire et financier leur permettent d’exercer une activité de financement participatif sous forme de souscription de parts sociales pour les projets non couverts par le Règlement. L’article D. 547-3 du même code, modifié par le Décret, limite toutefois cette faculté aux offres de parts sociales de sociétés coopératives constituées sous la forme d’une société anonyme relevant de l’article 11 de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération. Le cas échéant, le PSFP doit alors solliciter l’autorisation de l’AMF, soit lors de sa demande d’agrément de PSFP, soit à l’occasion d’une demande d’extension d’agrément ou encore par une demande distincte.

Dispositions transitoires

Applicable depuis le 10 novembre 2021, le Règlement a suscité de nombreuses interrogations pour les plateformes de financement participatif en vue de leur mise en conformité avec celui‑ci, auxquelles l’Ordonnance et le Décret permettent enfin de répondre en délimitant clairement les services de financement participatif relevant du droit européen et ceux qui demeurent soumis au droit français.

L’exercice des services couverts par le Règlement requiert donc désormais l’obtention d’un agrément. Toutefois, les CIP et IFP immatriculés avant le 10 novembre 2021 ainsi que les Prestataires de Services d’Investissement (PSI) fournissant le service de conseil en investissement et agréés avant cette même date pourront continuer d’exercer leurs activités conformément au droit antérieur jusqu’à l’obtention de leur agrément en qualité de PSFP et, dans tous les cas, jusqu’au 10 novembre 2022 au plus tard.

L’Ordonnance précise en outre que le règlement général de l’AMF peut prévoir des conditions d’octroi d’agrément simplifiées pour les CIP valablement immatriculés avant le 10 novembre 2020 ainsi que pour les PSI agréés avant cette date.

Cet article a été rédigé par : Véronique Collin, Mathieu Lebourgeois et Anthony Gerbron


[1] Les prestataires de services d’investissement fournissant le service de conseil en investissement pouvaient également proposer de tels financements.

[2] Ordonnance n° 2021-738 du 9 juin 2021 portant transposition de la directive (UE) 2020/1504 du Parlement européen et du Conseil du 7 octobre 2020 modifiant la directive 2014/65/UE concernant les marchés d’instruments financiers

[3] Lire : https://larevue.squirepattonboggs.com/croudfeunding-a-leuropeenne-un-relais-pour-les-institutionnels.html

[4] A titre d’exemple, les projets menés par les collectivités territoriales, les établissements publics ou encore par les consommateurs

[5] Règlement 2017/1129/UE concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé