3 catégories de nouvelles dans ce billet :

  • Les mouvements de la blogosphère juridique québécoise observés depuis avril
    2018
  • Une rétrospective de l’année 2018 dans la blogosphère juridique
  • Quelques mots sur le réseau de Lexblog

1/ Mouvements de la blogosphère juridique québécoise

Quelques chiffres pour
commencer l’année 2019 :

  • 79 blogues juridiques québécois répertoriés
  • 11% d’augmentation du nombre de blogues québécois par rapport à mars 2018.
  • 4 décisions judiciaires ont cité des blogues québécois (1 de la Cour suprême, 1 de la Cour d’appel fédérale, 1 de la Cour fédérale et 1 de la Cour supérieure)
  • 32% des blogues répertoriés sont inactifs depuis 6 mois ou plus
  • 0 blogue québécois récompensé aux Clawbies 2018, malheureusement.

Comme d’habitude l’observation
des mouvements de la blogosphère se reflète dans la mise à jour du répertoire
de blogues et du moteur de recherche associé.

++ Nouveaux blogues

Il s’agit de blogues nouvellement créés ou de blogues plus anciens
nouvellement découverts:

— Blogues disparus

Il est rare que des blogues disparaissent complètement du cyberespace,
le plus souvent ils demeurent accessibles même s’ils ne sont plus mis à jour.
Ils peuvent aussi être transformés.

Cependant, les blogues suivants ne sont à ce jour plus accessibles :

Blogues actifs/inactifs

Plusieurs blogues n’ont pas publié de nouveau billet depuis six mois ou
plus et sont signalés par un astérisque dans le répertoire (des blogues
québécois par nom). À l’inverse, il est à noter que des blogues autrefois
mentionnés comme inactifs ont pu redevenir actifs.

À ce jour, sur 79 blogues répertoriés, 26 sont inactifs. 

Ce chiffre est en progression. Il me semble refléter la réalité
actuelle : les praticiens, avocats et dans une moindre mesure notaires,
sont amenés à créer une rubrique blogue sur leur site internet-vitrine mais se
découragent rapidement et ne publient finalement que très peu de billets et de
façon assez sporadique. Il s’agit là d’une nouvelle preuve que bloguer sur le
droit est une pratique exigeante (et votre dévouée sait de quoi elle parle !)
qui ne convient pas à tout juriste.

 2/ Rétrospective de l’année
2018 dans la blogosphère juridique

Consécration des
blogues par la Cour suprême ! …

L’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c.
Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 est de loin l’évènement le plus marquant
de 2018 pour la blogosphère juridique québécoise et canadienne. En effet, pour
la première fois la Cour suprême appuyait son raisonnement sur des opinions qui
avaient été développées et publiées dans la blogosphère.

Je réserve pour un prochain billet une analyse de cette consécration des
blogues comme de la doctrine juridique. Pour l’heure, je me limiterai à
quelques observations de circonstances.

La décision Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), portait sur le droit administratif et soulevait notamment la question de savoir si la norme applicable au contrôle d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne, devait être la norme de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte. Pour y répondre, le fameux arrêt Dunsmuir rendu par la Cour suprême en 2008 devait être appliqué par les juges, mais tous n’en ont pas tiré les mêmes motifs, même si l’issue du pourvoi n’en a pas été affectée.

Les juges majoritaires ont été à l’aise de citer, à deux reprises, aux
par 35 et 37, un billet que le professeur Paul Daly avait publié en 2013 au
sujet de ce qu’il est convenu d’appeler une « véritable question de
compétence » et sur le fait que depuis l’arrêt Dunsmuir, aucune question
de ce genre n’avait été trouvée dans la jurisprudence.

Ce sont ensuite les juges Côté et Rowe, dont les motifs différaient de ceux de la majorité, qui se sont ensuite appuyé sur le billet rédigé par le juge Michel Bastarache à l’occasion du symposium virtuel organisé quelques mois plus tôt par Paul Daly et Léonid Sirota (dont je faisais l’annonce ici) sur le thème de Dunsmuir 10 ans après.

Il est à noter que depuis cet arrêt de juin 2018, la Cour suprême s’est à nouveau appuyée à deux reprises (Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil) et Orphan Well Association c. Grant Thornton Ltd., 2019 CSC 5) sur des billets publiés par le professeur Nigel Bankes sur Ablawg le blogue facultaire de l’université de Calgary.

…Mais aussi par les
cours fédérales

Dans la foulée de l’arrêt rendu par la Cour suprême au tout début de
l’été, les cours fédérales ont elles aussi fait une large place aux citations
tirées de blogues juridiques à l’occasion de deux décisions rendues à
l’automne.

C’est d’abord la Cour d’appel fédérale dans Bell Canada v. 7265921 Canada Ltd., 2018 FCA 174 qui s’est largement appuyée sur des opinions diffusées dans la blogosphère juridique.

En effet, dans
cette décision du 1er octobre 2018, les juges ont fait référence à
des blogues juridiques à 8 reprises :

Au par. 58 et 92 Le
juge Rennie, dissident, a cité des billets parus sur les blogues Administrative Law Matters de Paul Daly
et Double Aspect de Léonid Sirota..

Au par. 187, 195, et 198, le juge Nadon dont
les motifs sont concourants à ceux de la juge Woods, a eu recours à la doctrine
publiée dans la blogosphère pour illustrer plusieurs points relatifs à l’état
du droit canadien et aux opinions doctrinales le concernant.

Il est tout à fait remarquable qu’au
paragraphe 198, le juge Nadon ait décidé de conclure ses motifs par la
reproduction de deux paragraphes de « 10 Things I Dislike About Administrative
Law », un billet publié par Mark Mancini sur Double Aspect , moins d’un
mois avant que ce jugement soit rendu !

C’est ensuite dansRozas Del Solar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145, rendu en novembre, que la Cour fédérale, sous la plume du juge Diner s’est appuyée au paragraphe 128 sur un billet que Paul Daly avait publié quelques mois plus tôt sur Administrative Law Matters.

Et enfin, par la
Cour supérieure !

La Cour supérieure du Québec, sous la plume du juge Dugré (habitué à citer des blogues juridiques québécois dans ses jugements) a une fois encore fait une référence à A bon droit de Karim Renno dans sa décision Ville de Montréal-Est c. 2775328 Canada inc., 2018 QCCS 4951. Dans ce jugement, le juge Dugré s’appuie sur une décision qu’il avait lui-même rendue précédemment et renvoie (note 10) au commentaire qu’en avait fait Karim Renno sur son blogue.

Ce que l’on a pu observer en 2018 peut être qualifié d’envolée
prometteuse des citations de blogues juridiques par les tribunaux canadiens
(même si l’observation est très partielle et ne tient pas compte d’éventuelles
citations faites par les tribunaux des autres provinces).

La tendance initiée par la Cour suprême ne devrait que se confirmer dans
les prochains mois, pour autant que les juges, que l’on sait désormais
attentifs aux écrits publiés dans la blogosphère, soient mis en mesure d’y
trouver ce dont ils ont besoin.

Cette reconnaissance des billets de blogue pour ce qu’ils sont avant
tout, c’est-à-dire des opinions librement exprimées, argumentées, voire
critiques, sur l’état du droit actuel et les questions qu’il soulève, devrait
encourager la communauté juridique à pratiquer davantage le blogging juridique.
Les juristes devraient ^tre de moins en moins réticents à faire valoir leurs
points de vue sur des sujets d’actualité ou sur des questions difficiles, afin
de donner aux tribunaux un vaste éventail de raisons de décider, au moment où ils
doivent décider et où ils manquent, peut-être, de ressources.

À cet égard, l’accession de professeurs bloggeurs à la magistrature pourrait, dans un avenir proche, favoriser un recours encore plus systématique aux opinions de la blogosphère juridique. Je pense par exemple à la nomination récente de Alice Wooley, et Lorne Sossin, respectivement à la Cour du Banc de la reine de l’Alberta et à la Cour supérieure de justice de l’Ontario à Toronto. Alice Wooley était professeure à l’université de Calgary et publiait régulièrement sur Ablaw, le blogue facultaire, ainsi que sur Slaw. Lorne Sossin, était professeur et doyen de la Faculté de Faculté de droit Osgoode Hall. Il avait créé et animait Dean Sossin’s Blog.

Les jugements qu’ils rédigeront seront donc à surveiller !

3/ Le réseau de Lexblog à surveiller

Lexblog, une
plateforme américaine qui fournit des services de création et d’hébergement de
blogues aux juristes, essentiellement aux cabinets d’avocats mais aussi depuis
quelques temps aux étudiants et universitaires, s’est lancé dans un vaste
projet, ambitieux, et sans doute salutaire, qui devrait intéresser les
blogueurs canadiens.

En effet, Lexblog, mené par le très motivé (et motivant) Kevin O’Keefe est en train de créer un réseau mondial de blogues afin de donner aux blogues juridiques une plus grande visibilité et donc une plus grande influence. Lexblog a tout d’abord ouvert sa plateforme à des blogues extérieurs, il cherche maintenant à répertorier un maximum de blogues américains, canadiens (le célèbre blogue du professeur Michael Geist de l’Université d’Ottawa a récemment été intégré à la plateforme de Lexblog), et finalement internationaux. L’ambition est surtout de rassembler la communauté des juristes blogueurs qui, aux États-Unis comme ailleurs, est très éparpillée.

L’initiative est d’autant plus précieuse que si l’accent est naturellement mis sur les blogues américains et anglophones, l’ambition de créer un réseau mondial élargit les horizons notamment vers l’Europe et permet déjà à des blogues francophones de trouver une place dans la « vitrine » de Lexblog (exemple la Revue)

Œuvrant moi-même à la promotion du blogging juridique et à une plus grande visibilité des blogues, avec des moyens beaucoup plus modestes il est vrai (cet observatoire et la page Facebook associée), je me réjouis de l’entreprise de Lexblog et suis impatiente de suivre son évolution.

Il n’en demeure pas
moins qu’une vitrine trop remplie et mal agencée risque de donner le tournis
plus qu’autre chose. Afficher les contenus en continu de près de 20 000
blogues juridiques comme le fait Lexblog pourrait conduire à ce résultat.

Pour terminer, je dirais qu’aujourd’hui, l’obstacle majeur à l’utilisation des blogues réside dans l’absence de moyen efficace d’effectuer une recherche dans la blogosphère sur un sujet donné. Les moteurs de recherche personnalisés, élaborés avec Google, qu’offrent Lawblogs.ca ou Juris Blogging sont utiles mais limités aussi bien techniquement que par la portion réduite de la blogosphère qu’ils peuvent couvrir. La remarque vaut aussi pour le moteur de recherche Doctrine du CAIJ qui couvre tout le contenu des seuls blogues de cabinets intégrés par le CAIJ.

Il nous manque donc
une solution technique nouvelle et plus satisfaisante. C’est avec cette
préoccupation que j’ai débuté 2019 et qui me poursuivra tout au long de l’année,
j’en suis certaine.