…suite, mais est-ce la fin ?

 

Décret n°2019-1590 du 31 décembre 2019
Arrêté du 31 décembre 2019

Le gouvernement français a une nouvelle fois[1] adapté le dispositif de renforcement du contrôle des investissements étrangers aux termes d’un décret (« le Décret ») et d’un arrêté (« l’Arrêté »), tous deux en date du 31 décembre 2019 et publiés au Journal officiel du 1er janvier 2020.

Ces textes apportent des modifications notables à la réglementation contenue dans le Code monétaire et financier (« CMF ») et permettent notamment de parfaire la réforme du contrôle des investissements menée par le gouvernement dans le cadre de la loi PACTE[2].

Le nouveau dispositif s’appliquera aux demandes effectuées ou déclarations présentées à compter du 1er avril 2020.

Refonte de la partie réglementaire du CMF

L’architecture de la partie réglementaire du CMF relative aux investissements étrangers est profondément revue. Dans une optique de simplification et de clarification, les dispositions actuelles contenues au sein du chapitre III du titre V du livre 1er font l’objet d’une renumérotation au sein d’un nouveau chapitre[3] dudit code. La réécriture des articles permet, de par leur plus grande lisibilité et l’harmonisation de certains concepts, une meilleure compréhension de la procédure de contrôle des investissements étrangers en France.

Élargissement du champ des activités sensibles

En suite de la mise en œuvre du Règlement (UE) 2019/452 du Parlement européen et du Conseil du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union, le décret étend la liste des secteurs d’activités qui feront l’objet d’un contrôle de la part des autorités françaises.

Ainsi, conformément aux standards européens, seront désormais visés par la procédure d’autorisation préalable, les projets d’investissements étrangers relevant des secteurs suivants :

  • La production, la transformation ou la distribution de produits agricoles énumérés à l’annexe I du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, lorsque celles-ci contribuent à certains objectifs de sécurité alimentaire[4] ;
  • L’édition, l’impression ou la distribution de la presse écrite d’information politique et générale[5] ainsi que les services de presse en ligne d’information politique et générale[6]; et
  • Les activités de recherche et développement portant sur des technologies critiques, telles que les technologies quantiques et le stockage d’énergie[7] lorsque ces activités et technologies sont mises en œuvre dans l’un des secteurs concernés par le dispositif de contrôle.

Unification de la liste des activités contrôlées

La liste des activités concernées par le dispositif de contrôle est unifiée, de sorte que celle-ci sera désormais commune à l’ensemble des différentes catégories d’investisseurs.

Sur ce point, le Décret abandonne donc l’ancienne distinction entre investissements étrangers en provenance d’un État de l’Union européenne, d’un État tiers ou effectués par une entreprise de droit français contrôlée par une entité étrangère, une personne physique de nationalité étrangère ou de nationalité française mais résidant hors de France. En effet, auparavant, le champ des activités contrôlées variait selon la nationalité et/ou la domiciliation de l’investisseur.

Précision des contours de la notion d’entité de droit français contrôlée

Le Décret permet de renforcer et mieux adapter le dispositif de contrôle français en présence de plusieurs niveaux d’investisseurs étrangers.

Ainsi, par exemple, pour les investissements réalisés par une entité de droit français contrôlée par une personne physique de nationalité étrangère ou de nationalité française (mais qui n’est pas domiciliée en France) ou par une entité de droit étranger, il est dorénavant précisé que, lorsqu’aucun contrôle n’a pu être établi sur le fondement de l’article L.233-3 du Code de commerce, celui-ci doit s’apprécier au regard de l’article L.430-1 du même code, c’est-à-dire en considération des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité de l’entreprise. On s’éloigne donc de pures formules mathématiques et des pourcentages pour se rapprocher des éléments opérationnels, voire politiques, dans la chaîne de détention.

Abaissement du seuil de participation contrôlé

Le futur article R.151‑2 du CMF reprend la typologie existante de la définition des opérations d’investissements soumises à autorisation préalable. Constituera toujours un investissement au sens de la réglementation relative au contrôle des investissements étrangers, le fait pour un investisseur étranger d’acquérir dans une entité de droit français : (i) le contrôle au sens de l’article L.233-3 du Code de commerce, (ii) tout ou partie d’une branche d’activité de cette dernière ou (iii) pour les seuls investisseurs en provenance de pays tiers à l’Union européenne, un certain seuil de détention des droits de vote.

Le seuil de participation critique est désormais abaissé à 25%, contre 33% auparavant, étant précisé que pour l’appréciation du franchissement de ce seuil, il sera indifférent que l’investisseur l’ait franchi de manière directe ou indirecte ou qu’il ait agi seul ou de concert. Par ailleurs, seule la détention des droits de vote sera dorénavant prise en compte et non plus alternativement la détention du capital.

Le Décret précise, en outre, que le déclenchement du contrôle lié au franchissement de seuil demeure réservé aux investisseurs de pays tiers car il n’est applicable ni à un Européen, ni à une personne de l’Espace Économique Européen (EEE) pour autant qu’il existe une convention d’assistance (fraude, évasion fiscale) avec le pays concerné, ni à une personne contrôlée (y compris indirectement) par une personne relevant d’un État européen ou de l’EEE ou en ayant la nationalité, pour autant qu’elle y soit également domiciliée. Le texte fait référence à l’« ensemble des membres de la chaîne de contrôle », notion nouvelle qui permet d’appréhender les intermédiaires multiples (transparents ou non). Cette chaîne est définie dans le futur article R.151-1 du CMF comme l’ensemble formé par une entité de droit français ou étranger et les personnes ou entités qui la contrôlent, chaque entité ou personne constituant un investisseur aux termes de la réglementation.

Mise à jour de la liste des pièces et informations à fournir à l’appui des demandes

Une nouvelle liste des pièces et informations à fournir à l’appui des demandes d’autorisation préalable est établie à l’article 1 de l’Arrêté.

Parmi les nouveaux éléments que la demande devra contenir, figurent notamment :

  • La mention de tout lien capitalistique ou appui financier significatif à l’investisseur de la part d’un État ou d’un organisme public tiers à l’Union européenne au cours des cinq dernières années ;
  • La mention de toute implication de l’entreprise objet de l’investissement dans des projets ou programmes présentant un intérêt pour l’Union européenne[8] ou de tout appui financier provenant de fonds de l’Union européenne ;
  • La liste des concurrents français et étrangers de l’investisseur ainsi que ceux de l’entreprise cible ;
  • Les motifs de l’investissement en lien avec la stratégie globale de l’investisseur ;
  • La liste des États dans lesquels l’opération d’investissement a été ou sera notifiée au titre des contrôles des concentrations et des investissements étrangers ainsi que les dates des différentes notifications ; et
  • Les références du/des dossiers de demande d’autorisation préalable précédemment déposés par l’investisseur, une entité du groupe auquel appartient l’investisseur ou l’entité objet de l’investissement.

En pratique, cette nouvelle liste ne devrait pas bouleverser les habitudes des acteurs économiques, l’administration sollicitant déjà fréquemment du demandeur, en complément des informations déjà fournies à l’appui de sa demande, la fourniture de la plupart des renseignements mentionnés ci‑dessus.

Nouvel aménagement des délais de réponse de l’administration

Sur la base des pièces et informations reçues, le ministre de l’Économie devra désormais répondre à une demande d’autorisation préalable dans un délai de 30 jours ouvrés à compter de sa date de réception, contre deux mois aux termes de la réglementation actuelle. Contrairement à ce que prévoyait l’ancienne réglementation, en l’absence de réponse dans ce délai, la demande sera dorénavant réputée rejetée.

Si le ministre de l’Économie estime qu’un examen complémentaire est nécessaire pour déterminer si l’autorisation doit être ou non assortie de conditions afin de préserver les intérêts nationaux, celui-ci disposera d’un délai supplémentaire de 45 jours. Le Décret précise les objectifs poursuivis par le ministre de l’Économie en imposant des conditions. Il peut s’agir, par exemple, d’adapter les modalités d’organisation interne et de gouvernance de l’entité ou de fixer les modalités d’information de l’autorité administrative chargée du contrôle.

Clarification du contenu de la déclaration d’investissement

L’Arrêté apporte d’autres informations sur le contenu de la déclaration qui devra être effectuée à la suite de la mise en œuvre d’un investissement qui aurait été autorisé.

Celle-ci doit mentionner :

  • la date à laquelle l’opération a été réalisée ;
  • la répartition du capital de l’entité objet de l’investissement à l’issue de la réalisation de l’opération, ainsi que toute modification de la chaine de détention de cette entité intervenue depuis la date de délivrance de l’autorisation par le ministre de l’Économie ; et
  • le montant de l’investissement effectivement acquitté s’il est disponible, ou le montant estimé et à jour, ainsi que le cas échéant, la méthode retenue pour fournir cette estimation.

L’ensemble des mesures décrites et des concepts utilisés dans ces nouveaux textes illustre une sensibilité accrue à la préservation des intérêts nationaux et à la sécurité de l’État au sens large. Si la sophistication des montages ou des structures de groupe semble avoir été prise en compte, certains secteurs semblent toujours laissés de côté, tels que l’accaparement des terres agricoles, notamment pas la prise de contrôle des exploitations qui les détiennent. Si la mode des Series gagnait le gouvernement, il serait possible d’espérer de nouveaux épisodes sur ces sujets d’importance majeure.

Cet article a été co-écrit par Véronique Collin, Kévin Cosmao et Mathieu Lebourgeois

[1] Lire  : https://larevue.squirepattonboggs.com/renforcement-du-dispositif-de-controle-des-investissements-etrangers-suite-mais-pas-fin.html

[2] Lire  : https://larevue.squirepattonboggs.com/investissements-directs-etrangers-police-administrative-et-sanctions-apres-la-loi-pacte.html

[3] Chapitre Ier du titre V du livre 1er du CMF.

[4] Il s’agit plus précisément des objectifs mentionnés aux 1°, 17° et 19° du I de l’article L. 1 du Code rural et de la pêche maritime.

[5] Au sens de l’article 4 de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques.

[6] Au sens de l’article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse.

[7] La notion de “technologies critiques” est précisée à l’article 6 de l’Arrêté et recouvre, outre les activités mentionnées ci-dessus, la cyber sécurité, l’intelligence artificielle, la robotique, la fabrication additive et les semi-conducteurs qui étaient déjà appréhendés par la réglementation actuelle.

[8] Au sens de l’article 8 du Règlement (UE) 2019/452 du Parlement européen et du Conseil du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union.