Avec les avancées récentes en apprentissage automatique, ce n’était qu’une question de temps avant qu’une invention origine entièrement d’une machine d’intelligence artificielle.

C’est en effet le cas de « Device for Autonomous Bootstrapping of Unified Sentience », une machine à créativité mieux connue sous le nom de DABUS, qui est à l’origine de deux inventions en instance de brevets (« Fractal Container » & « Neural Flame ») aux États-Unis et aussi dans d’autres pays.

Si DABUS a été en soi développé et même breveté (US 5,659,666) par un être humain, Stephen Thaler, la matière de ces deux inventions a quant à elle été entièrement générée par la machine, sans implication humaine.

Ceci soulève une question juridiquement intéressante : est-ce qu’une machine, i.e., un être artificiel, peut être inventeur d’une demande de brevet ?

C’est ce que cherche à répondre The Artificial Inventor Projet  (TAIP), le regroupement derrière DABUS comprenant notamment l’inventeur Stephen Thaler accompagné d’avocats et d’agents de brevets. En fait, la position de ce regroupement est qu’il n’existe aucune interdiction statutaire à ce qu’un être artificiel soit nommé inventeur unique sur une demande de brevet. C’est pour tester cette position que le nom de Stephen Thaler a été volontairement omis de l’inventorat de ces deux demandes.

La semaine dernière, le United States Patent & Trademark Office (USPTO) a rendu une décision à l’effet qu’une de ces demandes n’est pas conforme à la Loi sur les brevets du fait que la demande en question ne liste pas d’être humain comme inventeur, mais plutôt seulement DABUS. D’une part, le USPTO interprète la définition statutaire de l’inventeur en tant qu’« individu » au sens propre puisque des termes référant à une personne physique sont utilisés à plusieurs endroits dans la Loi, tel que 35 U.S.C. § 100, 101 et 115. D’autre part, le USPTO cite également les décisions Univ. of Utah v. Max-Planck-Gesellschaftzur Forderung der Wissenschaften E.V. et Beech Aircraft Corp. v. EDO Corp. ayant refusé des états et des sociétés d’être nommés en tant qu’inventeurs, précisant que la logique est également applicable aux machines et que la conception, le critère fondamental à la qualité d’inventeur, doit être effectuée par une personne physique, c’est-à-dire un humain.

Malgré cette décision, la logique mise de l’avant par TAIP soulève plusieurs autres questions. Par exemple, contrairement aux logiciels traditionnels où les résultats, même si parfois complexes, sont souvent prévisibles, les machines d’intelligence artificielle peuvent être autoapprenantes. De ce fait, ces machines ont la capacité de changer leur conception et programmation originales à travers le temps, les rendant effectivement « imprévisibles ». En effet, si l’être artificiel a fait de l’autoapprentissage depuis sa conception et que les résultats sont les fruits de ce processus autonome, sans entrées de données, enseignements ou prises de décision humaines, comment pouvons-nous conclure qu’une personne physique a contribué à l’étape d’invention, et ce, spécialement dans une juridiction où il s’agit d’une infraction fédérale d’ajouter illégitimement un inventeur à une demande de brevet ? À qui attribuer le titre d’inventeur si un être artificiel produit les résultats, analyse ceux-ci et arrive à la conclusion qu’ils ont une valeur technique et utilitaire sans apport matériel provenant d’une personne physique, que ce soit le créateur, le programmeur d’origine, l’utilisateur ou autre ?

Malgré ces arguments, le USPTO confirme que l’être artificiel ne peut être considéré comme un inventeur, ce qui mène à la recommandation générique qu’en cas de doute, il est préférable d’identifier une personne physique comme inventeur, e.g., le créateur de l’être artificiel en question.

Cette décision qui risque d’être portée en appel par TAIP, surtout considérant tout le temps et l’argent investi depuis le début du projet.

Qu’est-ce qui motive TAIP à poursuivre ces démarches revêtant une utilité davantage théorique que concrète, autre que de contribuer à l’avancement du droit des brevets en sol américain et ailleurs ? Disons simplement que s’il s’agit d’une manigance d’un certain Skynet venu du futur, ce n’est certainement pas demain la veille que celui-ci pourra avoir son nom sur un brevet américain.