Cass. Civ. 1, 10 janv. 2018, n°16-20.416

La demande en exequatur est celle qui tend à faire constater la régularité internationale d’une décision étrangère pour lui conférer en France la force exécutoire, de sorte que cette décision revêtue de l’exequatur puisse produire tous ses effets sur le territoire français.

L’affaire visée a été l’occasion pour la Cour de cassation de se prononcer sur le régime procédural de l’exequatur d’un jugement étranger (hors État membre de l’Union Européenne) qui, en l’état, n’est encadré que par un texte, l’article R. 212-8 du Code de l’organisation judiciaire, attribuant compétence au Tribunal de grande instance de Paris statuant à juge unique pour connaître de la demande en exequatur.

La question ainsi posée à la Cour est celle de savoir si l’exequatur d’un jugement étranger peut être demandée de manière incidente, c’est-à-dire au moyen de simples conclusions dans une instance pendante au fond, et ce, y compris pour la première fois en appel.

Les faits

Il convient de s’arrêter quelques instants sur les faits de l’espèce, qui ont certainement joué un rôle dans la décision de la Cour d’appel de Montpellier (12 mai 2016) et dans celle du rejet du pourvoi par la Cour de cassation.

Plusieurs années après sa condamnation en France à payer des dommages et intérêts pour abus de confiance, un débiteur français vivant aux États-Unis a sollicité la protection du droit de la faillite américain. Il a ainsi obtenu le prononcé d’une ordonnance de discharge of debtor par le juge américain, le libérant de toutes ses dettes.

Une société de droit panaméen, demanderesse en première instance et au pourvoi, avait racheté la créance détenue par la victime française, partie civile indemnisée dans le cadre de la procédure pénale visée ci-dessus, par l’effet d’une cession de créance intervenue avant le prononcé de l’ordonnance de discharge of debtor.

À l’occasion d’une instance en partage de succession de son père intentée devant le tribunal français, ultérieure à ladite ordonnance, le débiteur est assigné devant le juge français. La société de droit panaméen fait opposition entre les mains du notaire, soutenant avoir des droits dans le partage de succession au titre de la cession de créance.

En première instance, le créancier obtient satisfaction. Intervenant en appel pour la première fois, le débiteur oppose l’ordonnance américaine à titre de défense, soutenant que sa dette envers la société de droit panaméen avait été annulée par l’effet de cette ordonnance, et en demande l’exequatur à la cour d’appel. La cour d’appel accueille cette dernière demande.

Au soutien de son pourvoi, le créancier invoque alors qu’une telle demande ne peut être effectuée en France qu’à titre principal devant le tribunal de grande instance par assignation et soutient qu’une telle demande est irrecevable puisque nouvelle, dès lors qu’elle est présentée pour la première fois en appel sur le fondement de l’article 564 du Code de procédure civile. Il n’est pas nécessaire d’insister sur ce dernier point puisqu’en vertu de la jurisprudence, le défendeur n’étant pas constitué en première instance, cet article était inapplicable. En effet, la prohibition des demandes nouvelles présuppose que la partie à laquelle on l’oppose ait été constituée en première instance.

Le créancier invoque en outre la violation de l’ordre public international français au titre de sa qualité de victime transmise en même temps que la créance cédée, consistant en une dette de dommages et intérêts. La société de droit panaméen soutient en effet que sa créance faisait partie des dettes non annulables prévues au chapitre 7 du Code de la faillite américain, comme relevant d’une obligation de dédommagement pénal.

La Cour de cassation rejette le pourvoi, validant ainsi le raisonnement de la cour d’appel.

Sur le moyen tenant à l’irrecevabilité de la demande d’exequatur, la Cour de cassation affirme que « l’exequatur peut être demandée par voie incidente dans une instance qui n’a pas pour objet principal ce jugement, y compris pour la première fois en appel lorsque la partie défenderesse n’a pas été constituée en première instance ».

Quant à l’annulation par une décision étrangère de la créance de dommages-intérêts civils alloués par le juge pénal, la Cour de cassation considère que « la cession de ladite créance n’avait pas pour effet de conférer à la société cessionnaire la qualité de victime. Dès lors aucune violation de la conception française de l’ordre public international n’est caractérisée ».

Sur la demande d’exequatur formée par voie incidente

Cette précision sur le régime procédural de l’exequatur est bienvenue étant donné que la loi restait muette sur ce point et que très peu de juridictions ont eu à se prononcer sur ce sujet.  Il convient néanmoins de l’accueillir avec précaution et de ne pas tirer de conclusions trop générales eu égard aux faits de l’espèce, lesquels conditionnent probablement cette solution.

En effet, l’exequatur permet au requérant de faire reconnaitre un jugement dans un pays tiers dans lequel cela aurait des conséquences juridiques sur sa situation dans ce pays. De manière logique, le requérant effectue cette demande dans un pays tiers si la décision étrangère a un intérêt à produire tous ses effets dans ce pays. En l’espèce, ce dernier n’avait aucun intérêt à faire reconnaître la décision en France au moment du prononcé de l’ordonnance de discharge of debtor.

Étant donné que la victime n’avait, semble-t-il, aucun actif en France, la Cour de cassation a potentiellement pu considérer qu’il n’avait pas intérêt à faire cette demande précédemment et qu’il n’avait donc pas manqué de diligence en présentant cette demande par voie incidente, puisque l’action du créancier, société étrangère, dans le partage de succession était difficilement prévisible.

Par ailleurs, il faut garder à l’esprit qu’il s’agissait en l’espèce d’un appel sur un jugement prononcé par le tribunal de grande instance, normalement compétent pour connaître de l’exequatur d’une décision étrangère. Or la Cour d’appel de Grenoble, dans une espèce certes ancienne, avait statué en sens contraire pour une demande d’exequatur d’une décision étrangère statuant sur la garde d’enfants, présentée pour la première fois en appel d’une ordonnance du juge aux affaires matrimoniales (Cour d’appel de Grenoble, Chambre des urgences, 14 Mars 1991).

Il ne faudrait en effet pas trop spéculer sur la portée de l’arrêt de la Cour de cassation. Logiquement et stricto sensu, cet arrêt semble impliquer qu’il est possible de former une demande d’exequatur par voie incidente devant le tribunal de grande instance et uniquement devant ce tribunal, ainsi que devant la cour d’appel siégeant sur appel d’un jugement du tribunal de grande instance, lorsque le requérant n’était pas partie à la première instance.

Sur la violation de l’ordre public international français

Il est ici important de souligner que le litige était concentré principalement à l’étranger d’une part, puisqu’impliquant une société de droit panaméen et un débiteur résidant aux États-Unis et d’autre part, parce que le débiteur avait régulièrement déclaré la créance de cette dernière société à la procédure de faillite américaine, étant rappelé que le jugement correctionnel français y afférant avait reçu l’exequatur aux États-Unis avant le prononcé de l’ordonnance de discharge of debtor. La Cour d’appel de Montpellier a d’ailleurs rappelé ce point, insistant sur le fait que la société de droit panaméen avait « pu faire valoir ses observations et ses droits dans le cadre de cette instance [aux États-Unis] et s’était abstenue de solliciter, comme elle en avait [eu] le droit, une mesure visant à exclure sa créance de l’annulation encourue ».

La Cour de cassation rejette donc naturellement le moyen tiré de la violation de l’ordre public international.

On peut ensuite se demander quelle aurait été la position de la Cour d’appel de Montpellier et celle de la Cour de cassation si la victime française, indemnisée initialement par le tribunal correctionnel français, n’avait pas cédé sa créance et avait opposé la violation de l’ordre public international français à la place de la société de droit panaméen devant la cour d’appel ?

Au regard du deuxième attendu de la Cour de cassation, est-ce que la conception de l’ordre public international français ne s’opposerait pas, en ce cas, à la reconnaissance de la décision étrangère ?

Les faits de la cause sont toujours importants en matière d’exequatur.

Il semble que la Cour de cassation a ouvert une brèche par cet arrêt et nous ne pouvons que l’en féliciter, au regard de la durée et du coût d’une procédure d’exequatur. Les juridictions devront tout de même rester vigilantes sur les manœuvres dilatoires pouvant en découler.