Dans notre article intitulé « Vers une amélioration et une simplification de la procédure civile ? », nous évoquions les différents chantiers de la justice annoncés le 15 janvier dernier par Nicole Belloubet, garde des Sceaux.

Parmi ces chantiers, celui de la transformation numérique de la justice (promesse de campagne du Président) a été décrit comme prioritaire dans un contexte de bouleversements, où numérique et intelligence artificielle sont de plus en plus prégnants.

L’objectif de cette transformation ? «Une justice simplifiée, plus lisible et plus accessible (…) pour fai[re] écho au besoin d’adaptation du service public de la Justice à la culture numérique»[1].

Les propositions de ce chantier répondent-elles vraiment aux objectifs de lisibilité et d’accessibilité annoncés ?

L’existant

De multiples outils et dispositifs numériques existent déjà actuellement.

Ainsi, dans les contentieux où la représentation d’un avocat est obligatoire (Tribunal de grande instance, Cour d’appel, Cour de cassation et Conseil d’État), une partie de la procédure est dématérialisée et a lieu sur un réseau virtuel destiné aux avocats dénommé « RPVA » (Réseau Privé Virtuel des Avocats). Sur cette plateforme en ligne, les avocats sont à même de communiquer entre eux et avec les autres acteurs du procès (greffiers, juges etc.), de déposer leurs conclusions ou de faire part de leurs observations. Tout se déroule en ligne jusqu’à l’intervention physique du juge, lors d’une audience de plaidoiries.

De même, il existe des[2], logiciel « GENESIS »[3] etc.)

Toutefois, les progrès réalisés en matière de nouvelles technologies et la dépendance accrue au numérique appellent des améliorations et un déploiement plus important de ces outils y compris à l’égard des justiciables.

 

Les axes de réforme

C’est à cette fin que le chantier de la transformation numérique propose plusieurs axes de réforme dont (1) la numérisation des Modes Alternatifs de Règlement des différends (« MARD »), (2) la simplification de l’accès des justiciables aux données de la Justice, et (3) la dématérialisation de leurs démarches.

1.         Le rapport repense le contentieux et incite à recourir aux « MARD ». Médiation, conciliation et traitement participatif sont, dès lors, mis en avant. Cela s’inscrit dans l’esprit du développement de la culture du règlement amiable des différends, laquelle est encouragée depuis plusieurs années. L’innovation réside en revanche dans leur mise en pratique puisque ces alternatives ne seraient plus contrôlées par le Ministère de la justice, mais laissées aux mains de plateformes privées imposant leurs propres règles. Leur déroulement serait, dans ce cadre, entièrement en ligne, du dépôt des pièces/écritures à l’homologation d’un éventuel accord par le juge, sans qu’aucun contact physique avec un intermédiaire ne soit envisagé.

2.         Les justiciables devraient également voir leur accès à certaines informations, facilité. Ils pourraient ainsi obtenir un accès en ligne à des informations les concernant (casier judiciaire B3, état de la procédure, délais de traitement de leur affaire).
De la même manière, il ressort une véritable volonté de rendre le droit plus accessible aux justiciables et notamment la jurisprudence. Actuellement, il est déjà possible de trouver des décisions de la Cour de cassation, du Conseil d’État, ainsi que de certaines Cours d’appel sur des sites Internet gratuits tels que Légifrance. Néanmoins, l’accès aux décisions des formations de première instance est encore très limité (tribunal de grande instance, tribunal d’instance, tribunal de commerce etc.). L’objectif serait ainsi de numériser la jurisprudence consolidée juridiction par juridiction afin qu’elle soit accessible au plus grand nombre.
Le développement des logiciels de justice dits « prédictifs » est également encouragé en ce sens que l’ensemble des acteurs (justiciables et professionnels du droit) devraient pouvoir accéder à leurs algorithmes.

3.         Plus généralement, c’est l’organisation de la procédure dans son ensemble qui tend à davantage de dématérialisation[4].
Il en ressort que les justiciables devraient être à même de solliciter en ligne l’aide juridictionnelle, sans avoir à se déplacer auprès du bureau d’aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de leur lieu de résidence[5].

La saisine des juridictions civiles pourrait être simplifiée pour les justiciables – qu’ils soient seuls ou représentés par un avocat – grâce à un formulaire numérique à télécharger sur une plateforme en ligne rattachée à la juridiction.

De la même manière, un « dossier judiciaire » unique serait mis en place au civil et au pénal afin que les justiciables, les avocats et les autres acteurs du procès (juges, greffiers) puissent avoir accès aux écritures/pièces du dossier et communiquer sur l’avancée de la procédure. En réalité, il s’agit là d’étendre le principe du « RPVA », précédemment présenté, aux justiciables pour les procédures à représentation non obligatoire.

L’ensemble de ces propositions tend finalement à un désengorgement des juridictions avec une diminution du nombre d’audiences physiques et une augmentation des « jugements-types numériques par référence à des jurisprudences affirmées »[6].

Les questions soulevées

Certes, l’esprit de ce projet de réforme est en accord avec son temps et louable en ce qu’il tend à un traitement de l’information plus efficace, à une réduction du temps de la procédure et à faciliter l’accès des justiciables au service public de la Justice. Néanmoins, quelques interrogations sont à soulever quant à la mise en œuvre concrète de ces propositions.

Notamment, la numérisation des « MARD » interpelle. En effet, il ne faudrait pas que ces « MARD » se « surprivatisent » et deviennent inaccessibles à certains en termes financiers. De même, le dialogue et la proximité étant au cœur du succès de ces modes alternatifs de règlement des différends, il ne faudrait pas qu’une barrière virtuelle viennent altérer leur efficacité.

On peut également s’interroger sur le risque d’assister à une démultiplication des contentieux, paradoxalement à l’objectif de désengorgement qui est porté par la réforme.

Finalement, la transformation numérique de la justice ne doit pas se faire au détriment de l’humanité de l’institution judiciaire et du principe de l’accessibilité au juge.

Enfin, qui dit dématérialisation, pense à l’heure actuelle au Règlement Général pour la Protection des Données (« RGPD »), dont l’entrée en vigueur est prévue le 25 mai prochain et qui s’appliquera aussi bien aux personnes privées qu’aux autorités publiques. Rappelons à ce titre que dès lors qu’une foule de données personnelles dites « sensibles » ainsi que leurs traitements sont concernés par la « justice numérique », les réformes envisagées devront s’accompagner de la protection de ces données personnelles, telle que prévu par le « RGDP ». Pour plus d’information sur le « RGPD » et les changements que son entrée en vigueur implique, nous vous renvoyons à notre dossier spécial « RGPD ».