CJUE, 19 avril 2018, C-645/16

Saisie d’une demande préjudicielle sur l’interprétation de l’article 17 de la Directive 86/653/CEE du 18 décembre 1986 (ci-après la « Directive ») par la Cour de cassation[1], la CJUE est venue préciser l’étendue de l’indemnisation de l’agent, conformément à cette disposition en cas de rupture du contrat pendant sa période d’essai ; cette situation n’étant expressément prévue ni par la directive, ni par les dispositions du Code de commerce.

L’article 17 de la Directive susvisée prévoit notamment que :

  1. « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer à l’agent commercial, après cessation du contrat, une indemnité… » ;
  2. L’agent commercial a droit à une indemnité dans la mesure où (a) il a apporté de nouveaux clients au commettant ou développé sensiblement les opérations avec les clients existants, et (b) une indemnité est équitable compte tenu des circonstances.
  3. L’agent commercial a droit à la réparation du préjudice que lui cause la cessation de ses relations avec le commettant.

Si le Code de commerce reprend les termes de la Directive, en l’absence de dispositions relatives à la période d’essai, la Cour de cassation s’était déjà prononcée contre l’octroi d’une indemnité pendant la période d’essai, considérant principalement que les parties pouvaient valablement prévoir une période d’essai dans leur contrat et que durant cette période le contrat d’agent commercial ne pouvait être considéré comme définitivement conclu[2].

C’est en ce sens que, dans l’espèce soumise à l’analyse de la CJUE, la Cour d’appel d’Orléans avait jugé le 18 décembre 2014, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation[3], que l’agent commercial ne bénéficie d’aucun droit à indemnité lorsque la rupture intervient pendant la période d’essai[4].

C’est un arrêt de la CJUE en date du 7 avril 2016, très certainement invoqué par l’agent dans cette affaire, qui a poussé la Cour de cassation à saisir la CJUE d’une question préjudicielle sur l’interprétation de l’article 17 de la Directive. En effet, dans une autre affaire, la CJUE était venue insister sur le fait que la Directive avait vocation à protéger l’agent commercial dans sa relation avec le promettant, sans pour autant s’attacher à en préciser l’étendue, notamment en matière de période d’essai[5].

Dans son arrêt du 19 avril 2018, la CJUE a donc répondu aux interrogations de la Cour de cassation en contredisant la position prise jusqu’alors par cette dernière, considérant que cette interprétation n’était confortée ni par les termes de la Directive ni par son esprit.

Pour dire que l’article 17 de la Directive « doit être interprété en ce sens que les régimes d’indemnisation et de réparation que cet article prévoit, respectivement à ses paragraphes 2 et 3, en cas de cessation du contrat d’agence commerciale, sont applicables lorsque cette cessation intervient au cours de la période d’essai que ce contrat stipule », la CJUE a considéré, au regard de la lettre et des objectifs de la Directive, que :

  • un contrat existe entre le commettant et l’agent à partir du moment où l’agent est mandaté, et ce, indépendamment d’une période d’essai ;
  • l’interprétation de la Cour de cassation pourrait revenir à créer une différence entre les contrats prévoyant une période d’essai et ceux qui n’en prévoient pas ;
  • le régime d’indemnisation ne vise pas à sanctionner la rupture mais seulement à indemniser l’agent pour les frais engagés ou les prestations passées dont le commettant continue à bénéficier au-delà de la cessation des relations contractuelles ;
  • la directive énumère limitativement les cas dans lesquels l’indemnisation n’est pas due ;
  • l’objectif de la Directive est de protéger l’agent dans sa relation avec le commettant.

Si l’on peut comprendre la nécessité de protéger l’agent commercial, on peut aussi comprendre la position prise par la chambre commerciale de la Cour de cassation jusqu’à présent, en ce qu’elle considérait que, les parties étant libres de prévoir ou non une période d’essai dans leur contrat. En la prévoyant, elles acceptaient le principe d’une rupture de la relation sans indemnité durant cette période.

Si la position de la Cour de cassation s’inscrivait dans l’instauration d’un certain équilibre entre la protection de l’agent et la liberté contractuelle des parties, la CJUE vient par cette décision renforcer la protection de l’agent commercial, mais surtout limiter l’intérêt de prévoir une période d’essai dans les contrats d’agent commerciaux.

Exception faite de potentiels abus de l’utilisation d’une telle période d’essai (période trop longue par exemple), la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation présentait un intérêt pratique certain, en ce qu’il permettait aux opérateurs ayant recours à des agents commerciaux de s’assurer des compétences de ceux-ci et de la possibilité d’envisager une relation pérenne avec eux avant de s’engager sur le long terme, sur un statut très protecteur de l’agent.

La conciliation entre la protection effective des agents et celle de leur mandant pourrait passer par un contrôle ou un encadrement plus strict de la période d’essai plutôt que par le versement systématique de l’indemnité en cas de rupture de la période d’essai, ou alors un encadrement plus clair et plus strict de l’indemnité due dans ces circonstances.

À suivre…

 

 


[1] Cass. Com., 6 décembre 2016, n°15-14.212.
[2]  Voir Arrêt de la CJUE du 18 avril 2018, para. 25 ; Cass. Com., 23 juin 2015, n°14-17.894 ; Cass. Com, 17 juillet 2001, n°97-17.539.
[3]  À noter qu’il existe quelques décisions contraires ayant refusé la rupture sans indemnités d’un contrat d’agent commercial pendant la période d’essai.
[4]  Voir Arrêt de la CJUE du 18 avril 2018, para. 18.
[5]  CJUE, 7 avril 2016, C-315/14.