Une citation attribuée à l’écrivain italien Cesare Pavese pourrait bien s’appliquer aux situations de changement d’emploi : « Si vous souhaitez voyager vite et loin, il vous faut voyager léger. » L’affaire Quintcap inc. c. I. Quint Group Inc. (2021 QCCS 1932) illustre comment les choses peuvent s’alourdir quand un employé part en emmenant avec lui plus que ce que la loi ne permet.

L’affaire Quintcap, entendue par la Cour supérieure du Québec, met en scène les membres d’une même famille (principalement un oncle et son neveu) œuvrant dans le domaine du développement immobilier sur la rive sud de Montréal. En voici les faits pertinents : après avoir travaillé pendant 10 ans au sein de l’entreprise familiale Quintcap, dont il a contribué à développer et promouvoir la marque et le(s) site(s) web, le directeur des propriétés et de la location se lance à son propre compte. À travers sa nouvelle entreprise, Groupe Quint, l’ex-directeur entend exercer les mêmes activités dans le même domaine, mais avec l’ambition d’étendre ses activités bien au-delà du Grand Montréal. Il s’ensuit une série d’actes qui lui seront reprochés, y compris :

  • le fait d’avoir envoyé un courriel de départ plutôt vague aux contacts de Quintcap (incluant ses locataires et fournisseurs), dans lequel il annonçait qu’il travaillerait dorénavant à partir d’un nouveau bureau, sans toutefois préciser qu’il démarrait une nouvelle entreprise distincte;
  • le fait que la nouvelle entreprise Groupe Quint ait adopté un logo très similaire à celui de Quintcap pendant la première année suivant son lancement; et
  • le fait que les versions initiale et finale du site web de Groupe Quint reproduisaient des textes et photographies provenant du site web de Quintcap.

Les demandeurs dans ce dossier ont avancé plusieurs causes d’actions (commercialisation trompeuse, violation de droits d’auteur, diffamation, contravention au devoir de loyauté), en plus de demander la révocation de dons envers l’ex-directeur pour cause d’ingratitude. Ils ont eu gain de cause sur tous les points, sauf sur la question de diffamation.

Point de rencontre

Les situations de changement d’emploi offrent un terrain de rencontre où le droit du travail et celui de la propriété intellectuelle jouent chacun leur rôle dans la régulation de la concurrence entre entreprises. L’affaire Quintcap rappelle qu’une violation de droits de propriété intellectuelle par un ex-employé peut aussi constituer une contravention à son devoir de loyauté (lequel peut survivre temporairement après la cessation d’emploi), et vice versa. C’est sur base d’à peu près les mêmes faits que la Cour a conclu que l’ex-directeur (et ses codéfendeurs) s’était livré à de la commercialisation trompeuse, a violé les droits d’auteur de Quintcap et a contrevenu à son devoir de loyauté envers Quintcap.

  • Commercialisation trompeuse (« passing off») : Quintcap n’a déposé des demandes d’enregistrement pour la marque QUINTCAP (mot et logo) qu’après le départ de l’ex-directeur. Sans surprise, ces demandes demeurent pendantes, car Groupe Quint s’y est opposé. Selon la Cour, les trois conditions pour démontrer une commercialisation trompeuse à l’égard de la marque non enregistrée QUINTCAP étaient remplies. Premièrement, les demandeurs bénéficiaient d’un achalandage (ou d’une réputation) rattaché à la marque QUINTCAP – d’ailleurs, l’ex-directeur s’en attribuait le mérite. Deuxièmement, non seulement il y avait probabilité de confusion entre les marques QUINTCAP et GROUPE QUINT, mais la preuve démontrait que des clients avaient confondu ces deux entreprises, entre autres, en appelant au mauvais numéro ou en se rendant à la mauvaise adresse pour un rendez-vous. Et troisièmement, on pouvait inférer que Quintcap a subi des dommages liés à la perte de contrôle de son image et de sa réputation.
  • Violation de droits d’auteur: La Cour a conclu que les défendeurs avaient violé les droits d’auteur de Quintcap en reproduisant des textes et photographies lui appartenant. L’explication des défendeurs selon laquelle la version initiale du site web n’était qu’un brouillon n’a pas réussi à faire excuser le plagiat.
  • Contravention au devoir de loyauté: Le devoir de loyauté d’un employé peut survivre pendant un délai raisonnable après cessation de son contrat de travail (art. 2088 du Code civil du Québec). Après avoir conclu que l’ex-directeur avait bel et bien un statut d’employé (et non celui d’associé), la Cour a considéré les actes commis au cours de diverses périodes, y compris la période suivant le départ de l’ex-directeur. La Cour a souligné que le devoir de loyauté qui était imposé à l’ex-directeur ne lui permettait pas de s’approprier les réalisations de son employeur et de semer de la confusion au sein du marché immobilier en reproduisant des textes et photographies appartenant à Quintcap ou en utilisant un logo d’une ressemblance « remarquable » à celui de Quintcap.

Dans la prochaine phase de ce dossier, la Cour se penchera sur la question de la quantification des dommages : les demandeurs réclament le remboursement des profits tirés de la commercialisation trompeuse, ainsi que des dommages pour la contravention au devoir de loyauté. Entre-temps, elle a émis plusieurs injonctions, y compris pour faire cesser toute utilisation du nom ou de la marque GROUPE QUINT et du nom de domaine « groupequint.com », toute violation des droits d’auteur dans les textes et photographies apparaissant au site web de Quintcap, et pour faire retirer des enseignes et panneaux d’affichage comprenant le logo GROUPE QUINT.

Aux employeurs, cette décision présente un survol des recours disponibles dans de telles situations (avec les remèdes et défis de preuve qui leur sont propres).

Aux futurs ex-employés qui aimeraient partir à leur propre compte, elle fournit deux importantes mises en garde : (i) attention à ne pas semer la confusion dans le marché, que ce soit par le biais de vos communications ou de votre image de marque (même si celle-ci consiste en votre nom de famille); et (ii) publicisez votre participation aux projets de votre ex-employeur sans vous les approprier. Une poursuite judiciaire pourrait ralentir votre élan. Pour partir vite et loin, partez léger.