Quels sont les enjeux ?

Le 26 février 2025, la Commission européenne adoptait de nouvelles propositions visant à faciliter la mise en œuvre des règles de durabilité pour les entreprises. Plusieurs textes étaient concernés :

  • la Corporate Sustainability Reporting Directive (« CSRD »), qui régit les règles relatives aux informations de durabilité publiées par les entreprises au sein de l’Union européenne,
  • la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (« CS3D »), établissant un devoir de vigilance en matière de durabilité à la charge des entreprises,
  • le Règlement Taxonomie,
  • et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

Cet article se concentre sur les mesures de simplifications concernant la CSRD et la CS3D. L’initiative Omnibus comprend deux enjeux principaux relatifs à ces textes :

Quel est le calendrier ?

A ce jour, la seule visibilité claire concerne le calendrier de la proposition Omnibus. En effet, le 17 avril 2025, la directive « stop-the-clock » est entrée en vigueur. Les Etats membres ont jusqu’au 31 décembre 2025 pour la transposer dans leur droit national.

Impact CSRD : un report de deux ans

Un report de deux ans pour la mise en œuvre des exigences de déclaration prévues par la CSRD a été voté pour les entreprises de la deuxième vague (celles qui devaient publier un rapport de durabilité en 2026 portant sur leur exercice fiscal 2025) et de la troisième vague (celles qui devaient publier un rapport de durabilité en 2027 portant sur leur exercice fiscal 2026).

La France a d’ores et déjà adopté ce calendrier. Le report de deux ans de l’application de la CSRD pour les entreprises de deuxième et troisième vague a été prévu par la loi n° 2025-391 du 30 avril 2025 promulguée le 2 mai 2025.

Impact CS3D : un report d’un an

La directive « stop-the-clock » prévoit également un report d’un an de l’application de la CS3D. Plus précisément, la directive s’appliquera à compter de :

  • Juillet 2028 pour les grandes entreprises situées dans l’UE qui emploient plus de 3 000 salariés et ont généré un chiffre d’affaires net de plus de 900 millions d’euros ;
  • Juillet 2028 pour les grandes entreprises hors UE qui ont généré un chiffre d’affaires net de plus de 900 millions d’euros dans l’UE ; 
  • Juillet 2029 pour les autres grandes entreprises situées dans l’UE qui emploient plus de 1 000 salariés et ont généré un chiffre d’affaires net de plus de 450 millions d’euros au niveau mondial et pour les sociétés mères d’un groupe qui a atteint ces seuils sur une base consolidée ;
  • Juillet 2029 pour les autres grandes entreprises hors UE qui ont généré un chiffre d’affaires net de plus de 450 millions d’euros dans l’UE et pour les sociétés mères d’un groupe qui a atteint ce seuil sur une base consolidée.

Les Etats membres devront enfin transposer la CS3D dans leur droit national au plus tard le 26 juillet 2027.

Un calendrier et des incertitudes

Si le nouveau calendrier de la mise en œuvre de la CSRD et de la CS3D est désormais arrêté, il n’en est pas de même concernant les modifications substantielles des textes, qui doivent encore faire l’objet de discussions au sein des institutions européennes.

Quelles sont les mesures de simplification proposées par la Commission ?  

Il ne s’agit à ce stade que de propositions de la Commission, qui doivent désormais être discutées par le Conseil de l’UE et le Parlement.

Les principaux changements concernant la CSRD

  • Champ d’application restreint : Le champ d’application serait restreint aux entreprises qui comptent plus de 1 000 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 50 millions d’euros ou le bilan supérieur à 25 millions d’euros. Concernant les entités non européennes, la Commission propose de modifier les seuils, et ces sociétés devraient désormais réaliser un chiffre d’affaires de 450 millions d’euros dans l’UE pour entrer dans le champ d’application de la CSRD.
  • Taxonomie : La publication d’informations relatives à la taxonomie serait désormais volontaire.
  • Simplification des normes : La Commission simplifierait les normes d’information en matière de durabilité (ESRS), tout en maintenant la perspective de la double importance relative.
  • Value-chain cap : Le plafond de la chaîne de valeur établi par la CSRD serait étendu, afin de limiter davantage les informations que les sociétés peuvent demander aux entreprises de leur chaîne de valeur.

Les principaux changements concernant la CS3D

  • Modification de la portée des évaluations : Les évaluations de diligence raisonnable seraient limitées aux fournisseurs de premier rang (fournisseurs directs), à moins qu’il n’existe des informations plausibles d’incidences négatives au niveau des partenaires commerciaux indirects.
  • Sanctions et responsabilité civile : La CS3D modifiée supprimerait les conditions harmonisées de l’UE en matière de responsabilité civile et renverrait aux différents régimes nationaux. Elle abandonnerait le plafond minimal des sanctions financières.
  • Plan de transition : Les exigences relatives à l’adoption de plans de transition pour l’atténuation du changement climatique seraient alignées sur la CSRD.
  • Informations demandées aux tiers : Elle limiterait enfin les informations pouvant être demandées dans le cadre de l’identification des impacts.

L’incertitude demeure quant au contenu de la proposition Omnibus, même si les travaux de simplification ont été lancés. Le 27 mars 2025, la Commissaire européenne en charge des services financiers a demandé à recevoir l’avis technique de l’EFRAG sur l’acte délégué visant à réviser et à simplifier le règlement existant d’ici le 31 octobre 2025. Le 25 avril 2025, l’EFRAG a officiellement soumis à la Commission européenne son programme de travail sur la simplification des ESRS.

Une proposition toujours en débat

Le 17 avril 2025, la présidence polonaise du Conseil a transmis son premier projet de compromis sur la directive Omnibus.

S’agissant de la CS3D, la présidence du Conseil approuve notamment la suppression de l’harmonisation du régime de la responsabilité civile en matière de devoir de vigilance. En revanche, concernant la possibilité proposée par la Commission de limiter la quantité d’informations demandées aux entreprises de moins de 500 salariés pour cartographier leur chaîne de valeur, la présidence du Conseil propose d’hausser le seuil aux entreprises de moins de 1000 salariés. La présidence du Conseil propose enfin de limiter le montant des sanctions financières à 5% du chiffre d’affaires mondial net réalisé par l’entreprise concernée.

Concernant la CSRD, la présidence du Conseil s’accorde avec la Commission européenne pour abandonner le projet de normes sectorielles afin de réduire le nombre de points de données que les entreprises doivent compléter. De même, le Conseil soutient la Commission européenne quant au plafond de la chaîne de valeur (ou « value chain cap »), c’est-à-dire que les entreprises devront limiter les demandes adressées à leurs fournisseurs à celles contenues dans la norme volontaire VSME.

Le 23 avril 2025, les débats au sein de la commission des affaires juridiques du Parlement européen (« la commission Juri ») a fait apparaître d’importantes divergences entre les partis politiques européens. Tandis que les élus conservateurs plaident pour que la Commission européenne aille plus loin dans la simplification, d’autres souhaitent conserver le champ d’application initial de la CSRD tout en révisant les standards de durabilité et en prévoyant des dispositions spécifiques pour aider les PME.

Enjeu clef : la limitation des partenaires commerciaux à inclure dans les évaluations

Concernant la CS3D, un des points majeurs des débats concerne la limitation des partenaires commerciaux à inclure. Un député S&D allemand a souligné l’échec de la simplification, notamment en ce qu’il est demandé aux entreprises de se concentrer sur leurs fournisseurs directs qui se situent majoritairement en Europe, et non pas sur les fournisseurs les plus à risque qui peuvent se trouver en dehors de l’UE.

Il nous semble en effet regrettable d’abandonner une approche fondée sur les risques, telle que définie par les standards internationaux, et selon laquelle l’entreprise doit cibler les domaines d’activité et les partenaires où les risques sont les plus élevés. En effet, cette approche permet aux entreprises de concentrer leurs efforts là où cela est le plus nécessaire. L’importance de l’approche fondée sur les risques a récemment été rappelée par le Haut-Commissariat des Nations Unies.

Le rapporteur principal de la commission Juri doit transmettre un projet d’avis avant le 4 juin 2025, qui sera présenté en commission le 23 ou le 24 juin 2025. Les députés auront alors jusqu’au 27 juin 2025 pour déposer leurs amendements, qui seront examinés les 14 et 15 juillet 2025. Le vote sur le rapport devrait avoir lieu le 13 octobre 2025 en commission, puis lors de la session du 20 au 23 octobre 2025 en séance plénière.

Les discussions en trilogue entre les colégislateurs n’auront pas lieu avant la fin de l’année, et l’adoption n’interviendra probablement pas avant 2026 au plus tôt.

Des réactions aux Etats-Unis

Ces réglementations provoquent des réactions aux États-Unis où le sénateur Bill Hagerty a présenté en mars 2025 un projet de loi intitulé « Protect USA Act ». Ce projet vise à interdire aux entreprises américaines de mettre en œuvre toute réglementation étrangère relative à la diligence raisonnable en matière de durabilité, et notamment de la CS3D.

Comment se situent les entreprises ?

Toutes les entreprises ne sont pas favorables à cet effort de simplification de la Commission. Certaines avaient exprimé dès janvier 2025 leur inquiétude face à la modification des règles européennes en matière de durabilité dans une lettre adressée à la Commission. Elles avaient ainsi publiquement exprimé leur soutien pour les normes européennes en matière de diligence raisonnable et de publication d’informations actuellement en vigueur, estimant que celles-ci ont le potentiel de favoriser la résilience et la valeur à long terme des entreprises européennes en soutenant leur avantage concurrentiel.

Pour d’autres, la proposition Omnibus est moins disruptive qu’elles ne l’espéraient, dans la mesure où elle n’a pas allégé le fardeau administratif pesant sur les plus grandes entreprises qui demeurent tenues de respecter la CSRD et la CS3D.

Quel comportement adopter ?

Pour les entreprises concernées par les reports de la CSRD ou de la CS3D, la question se pose de l’arrêt ou de la suspension des projets CSRD et CS3D. Il nous semble que la stratégie à mettre en œuvre est propre à chaque organisation en fonction de ses objectifs à court, moyen et long terme.

Ainsi, nous nous permettons de porter à votre attention une liste de critères à prendre en compte lors de l’arbitrage interne à effectuer :

  • Secteur d’activité et positionnement concurrentiel : quelle est l’appétence de mon secteur pour l’ESG ? Existe-t-il un avantage comparatif à développer ? Quelles seront les données de durabilité communiquées par mes concurrents à court et moyen terme ?
  • Exposition vis-à-vis de nos clients ou fournisseurs : nos clients ou fournisseurs sont-ils soumis à la CSRD ou à la CS3D ? A partir de quand ? Quelles données et garanties seront nécessaires pour rester compétitifs ? Quels sont les critères ESG pris en compte par mes partenaires commerciaux dans le cadre du renouvellement des contrats ou l’acquisition de nouveaux marchés ?
  • Stratégie de développement groupe : existe-t-il des projets, notamment de croissances externes en cours et quel serait l’impact de ces projets sur l’applicabilité de ces normes ?
  • Assujettissement à d’autres réglementations ESG : outre la CSRD et la CS3D, vous pouvez également être soumis au Règlement sur le travail forcé, ou encore au Règlement Déforestation, qui pourront nécessiter la mise en place de mesures parfois similaires à celles édictées par la CSRD et CS3D. Dès lors, la mise en conformité avec l’une de ces réglementations a nécessairement un impact sur la mise en conformité CSRD ou CS3D. Effectuer une cartographie des interconnections entre les réglementations ESG est essentielle afin de veiller à ce que les investissements soient dimensionnés à l’ensemble des obligations de conformité, et pour mutualiser les efforts déployés.
  • Transformation IT : des projets de transformation IT sont peut-être en cours dans votre organisation, et susceptibles de faciliter la collecte ou le suivi des informations et procédures nécessaires à la mise en conformité CSRD ou CS3D.
  • Exposition au risque réputationnel : l’exposition au risque réputationnel ou au risque contentieux susceptible d’émaner des clients consommateurs ou des ONG doit être également pris en compte.

Il nous semble que ce report constitue en réalité une opportunité pour engager une réflexion stratégique sur la mise en conformité ESG des groupes, et valoriser ainsi les investissements à intervenir.